La pandémie de COVID 19 vue par les médecins de famille

Nous avons besoin d’une meilleure intégration intersectorielle

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Dr David Ponka est médecin de famille à Ottawa, au Canada, et directeur du Centre Besrour pour la médecine familiale mondiale du Collège des médecins de famille du Canada. Il a trois filles qui sont maintenant de retour à l’école après avoir obtenu un résultat négatif au test de dépistage de la COVID-19.

Voilà que ce que je craignais se réalisait : mes filles étaient renvoyées à la maison quelques jours après le début des classes pour cause de « nez qui coule ». Bien sûr, j’étais conscient que notre garderie et nos écoles se conformaient aux judicieuses directives de la santé publique. Toutefois, attendre en ligne plusieurs jours d’affilée devant des centres de dépistage surchargés signifiait que je devais m’absenter du travail parce que mes filles et moi avions peut-être contracté la COVID-19 et que je voulais éviter d’exposer davantage mes collègues et mes patients. Ces lacunes au niveau de la coordination des tests étaient frustrantes, d’autant plus que j’ai des patients qui n’ont pas pu me voir en consultation depuis le printemps à cause de la pandémie de COVID-19.

En ce début de deuxième vague, nous ne devons pas oublier les troisième et quatrième vagues de la pandémie. En fait, il y a plusieurs mois que la troisième vague (les conséquences des maladies chroniques négligées) et la quatrième vague (le fardeau de plus en plus lourd issu de la détresse psychologique et sociale associée à la pandémie) ont débuté. Mes patients ont de longues listes de problèmes de santé qu’ils n’ont pas pu faire soigner. Si un diabète mal maîtrisé en fait partie, cela ne fait qu’aggraver le risque de morbidité et mortalité liées à la COVID-19.

Par ailleurs, les principaux déterminants de la susceptibilité aux infections graves peuvent inclure non seulement l’âge et la comorbidité, mais aussi les phénomènes de la quatrième vague, soit les contraintes socioéconomiques et les difficultés liées à la santé mentale que nous constatons. Ces phénomènes pèsent eux aussi très lourd sur le système de soins primaires, en particulier maintenant que davantage de consultations avec nos patients sont virtuelles. Essayez de vous imaginer en train de conseiller, au téléphone ou même via une connexion vidéo impersonnelle, quelqu’un qui a développé une agoraphobie sévère ou un TSPT complexe. Ou songez à quel point il peut être difficile de joindre une personne devenue sans-abri.

En prenant les précautions qui s’imposent et en respectant les directives de la santé publique, la plupart d’entre nous éviteront de contracter la COVID-19 jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible. Et pourtant, nous sommes tous déjà touchés par la pandémie. Nous devons reconnaître l’énorme fardeau que représentent les problèmes de santé mentale et la souffrance sociétale généralisée et nous préparer à ces vagues afin de nous maintenir en amont des crises pendant que la pandémie suit son cours.

Les phénomènes des troisième et quatrième vagues de la COVID-19 continuent d’occuper ceux d’entre nous qui travaillent en médecine familiale, mais nous pourrions aussi jouer un rôle accru dans les efforts déployés pour juguler la deuxième vague. Un accès plus rapide aux tests nous permettrait à tous de continuer à travailler. Si les précautions appropriées sont prises, je suis prêt à voir davantage de patients pour effectuer des évaluations de la COVID-19 et des prélèvements, au lieu d’exclure ces patients de la clinique en raison de leurs symptômes. Si nous, médecins de famille, étions plus nombreux à adopter cette approche, nous pourrions contribuer à alléger la pression sur les services d’urgence et les centres de dépistage, et apporter à nos collègues de la santé publique une aide dont ils ont bien besoin.

Plus que jamais, le système de santé doit faire preuve de souplesse. En période de pandémie, il doit maintenir un certain équilibre, comme un gyroscope dont l’orientation des différents axes s’ajuste en fonction des besoins. Dans notre incessant ballet d’allers-retours entre les phases purement infectieuses et les phénomènes plus largement répandus des troisième et quatrième vagues, les services de santé publique et de soins primaires doivent travailler en étroite collaboration à définir, évaluer et redéfinir les priorités. Nous devons également encourager le généralisme et le transfert des tâches au sein des spécialités médicales et entre nos collègues des professions paramédicales pour répondre aux priorités en matière de soins. La médecine familiale, qui est au cœur des systèmes de santé, peut jouer un rôle central.

Le concept des quatre vagues découle peut-être d’une perspective exagérément académique et isolée. Comme nous l’avons vu, les phases de la pandémie sont intimement reliées : les vagues infectieuses se répercutent plus largement sur la société, et inversement. Nous avons besoin de prendre les choses en mains d’une façon qui, en plus de tenir compte de cette réalité, intègre et coordonne les différentes priorités. Cela représente tout un défi lorsque les rôles des différentes agences se chevauchent ou lorsque les responsabilités sont réparties entre les autorités régionales et municipales, situation dont découlent à l’occasion des conseils contradictoires ou incompatibles. Cependant, nous pouvons, grâce à notre perspective généraliste, générer un dialogue qui transcende les cloisonnements et aider à bâtir des ponts.

Effectivement, nous aurons besoin de bâtir des ponts pour susciter une intervention coordonnée. C’est la raison pour laquelle les organisations multilatérales comme l’Organisation mondiale de la santé mettent de plus en plus l’accent sur la collaboration intersectorielle pour améliorer la santé des populations. Cela renforce l’idée que la santé dépend de presque tous les secteurs de la société, pas seulement des ministères de la Santé et des services de santé publique. Nous avons besoin d’une perspective plus globale.

Nous avons besoin d’une meilleure intégration des différents secteurs : éducation, santé publique, soins primaires et secteurs privé et public. Quant aux soins primaires et à la santé publique — de proches cousins qui parlent le même langage —, rien ne justifie qu’ils tardent encore à agir. Nous faisons de notre mieux séparément, dans nos domaines respectifs, mais trop souvent, nous laissons passer des occasions de sympathiser, de comparer nos notes et de coordonner nos efforts.

Il faut également que les organisations multilatérales fassent le point sur les efforts déployés ailleurs que dans notre pays. L’intégration entre les soins primaires et la santé publique, un objectif louable partout dans le monde, en est à divers stades d’avancement. Il devrait être possible d’atteindre cet objectif si nous continuons à apprendre les uns des autres dans différents contextes, y compris dans l’ensemble de la communauté WONCA. Nos progrès seront essentiels pour accélérer le processus de dépistage et, surtout, pour planifier une distribution du vaccin harmonieuse et coordonnée, en tenant compte des patients à risque élevé susceptibles d’affronter plusieurs vagues de COVID-19 à la fois.

Chacun fait de son mieux dans son pré carré : écoles, santé publique, soins primaires, milieu des affaires, citoyens ordinaires. Nous pourrions faire encore mieux en travaillant tous ensemble.